Le Dieu de Calvin et le langage du destin et de la fortune dans la tragédie de la Renaissance française

[First published in the Revue de l'Université Sainte-Anne (1982): 8-18. Given the very limited circulation of this journal, I also sent the piece to Bibliothèque d'Humanisme et Renaissance, whose editor Alain Dufour declined it, remarking (quite accurately) that the essay was “manifestement pensé en anglais”—but generously hoping that an English version of it (which, in the event, I did not publish) might appear in an American or English journal “de plus large diffusion que la nôtre.” Were it not for kind corrections made by my colleagues René LeBlanc and Alain Chabot, this text would have been clumsier still.

The thoughtful comments on this essay which Dufour also shared with me may be of interest for what they show about the ways Calvin was being read at the time. Praising the essay as a whole (“dans l'ensemble vous avez parfaitement raison”), he thought the opinion of Richard Griffiths criticized in my opening paragraphs to be so obviously “stupide et erronnée” as not to need refutation—while also conceding it to be “bien typique du XXe siècle.” He also suggested that my “antipathie pour Calvin” might be attenuated by considering his theology “dans la suite de la chûte d'Adam et dans la perspective du péché originel”—forgetting, perhaps, the notorious passage in which Calvin conceded that Adam's Fall was itself willed by God: “The decree is dreadful indeed, I confess. Yet no one can deny that God foreknew what end man was to have before he created him, and consequently foreknew because he so ordained by his decree” (Institutes, III. xxiii. 7).

I have made some corrections of typographical errors and of infelicitous turns of phrase, but have not otherwise updated the text or the notes.]

 

I

S'apercevoir que la tragédie traite de la nature problématique de la justice divine n'est rien de nouveau.1 Cependant, c'est une perception que les critiques de la tragédie française de la Renaissance ont parfois negligée à cause de certaines singularités de ce genre littéraire. Au cours de la deuxième moitié du seizième siècle en France, on peut distinguer (en excluant les comédies de la période) entre des pièces religieuses, où l'emploi des épisodes de l'Ancien Testament fait preuve d'un esprit plutôt partisan ou sectaire que dramatique, et d'autres pieces d'inspiration classique, dans lesquelles l'influence de leurs modèles est partout en évidence. Les premières abusent parfois de la patience du lecteur, tandis qu'en lisant ces dernières il est souvent difficile de croire qu'elles ne soient que des exercises d'imitation: car non simplement des sententiae mais des allocutions et même des scènes entières ont été empruntées de Sénèque ou d'Euripide.

Les pièces de forme classique (ou se voulant classique) de cette époque se définissent le plus clairement comme étant artificielles (au sens moderne et péjoratif du mot) dans leur emploi du langage de la fatalité—ce qui inclut les notions complémentaires de la nécessité et du caprice, du destin et de la fortune.2 Comme l'écrit un critique contemporain, la conception classique du destin, “se heurtant contre l'idée chrétienne d'un Dieu plein de bonté, aurait dû inquiéter ces dramaturges..., mais personne n'a jamais voulu modifier cette idée du destin, car faire ainsi serait condamner les auteurs clasiques, qui ne pouvaient avoir tort.” L'emprunt de cette conception du destin par les tragiques français de la Renaissance constituait, selon ce critique,

un divorce de leurs tragédies d'avec la réalité, car tandis que les spectateurs anciens croyaient (ou faisaient mine de croire) aux forces qui avaient de l'emprise sur les personnages de la tragédie ancienne, ces forces s'opposaient totalement aux croyances chrétiennes du seizième siècle. N'importe quelle conception de la grâce qu'un chrétien eût eu, il n'eût pas pu tolérer le gouvernail sauvage et irraisonné de l'ananke. Maints tragiques ont dû copier des textes anciens sans penser, en négligeant toute contradiction entre leurs propres idées et celles de leurs modèles.3

L'image que ces remarques évoquent—celle d'un art terne pratiqué avec un fatalisme pervers par des érudits schizoïdes—est bizarrement fourvoyante. Je ne veux ni éxagérer les qualités littéraires de ces pièces, ni prétendre qu'elles possèdent les connexions complexes avec “la réalité sociale” qui charactérisent le théatre populaire anglais après 1586. Mais on peut suggérer qu'une plus ample connaissance du Dieu chrétien du seizième siècle donnerait au critique une sympathie accrue pour ces dramaturges, et révèlerait la justesse singulière de ce langage du fatalité qu'ils ont emprunté en ce qui a trait aux aspects les plus âpres de leurs croyances religieuses.

Dans l'histore littéraire, au moins, l'acte gratuit est une illusion. Les emprunts littéraires ne sont jamais immotivés, et les critiques qui insistent pour comprendre d'une façon étroite les motifs pour de telles appropriations n'auront qu'eux-mêmes à remercier si les explications conséquentes sont stériles. On peut croire que les tragiques du seizième siècle étaient clairement conscients de leurs propres besoins d'imagination. Thomas Sebillet, qui en 1549 publia l'Iphigene d'Euripide poete tragiq, écrit dans son Art poetique François (1548):

... en ce avons nous comme en toutes choses suivy nostre naturel, qui est de prendre dés choses estrangéres non tout ce que nous y voions, ains seulement que nous jugeons faire pour nous, et estre a notre avantage.4

Bien qu'il s'agit ici de la manière dont les auteurs de moralités se sont servis de la tragédie ancienne, il n'est pas évident que le changement d'orientation après 1550 vers une imitation fidèle des formes anciennes dans la tragédie “régulière” aurait entrainé une perte de cette conscience de ce qui fut “a nostre avantage.”

De nombreux textes de cette époque révèlent, quant à certains aspects de la piété chrétienne, une convergence avec la vocabulaire classique de la fatalité. Les clameurs contre le sort et la fortune qui, au goût des modernes, encombrent les tragédies du seizième siècle, se montrent dans ce contexte non seulement comme étant des imitations littéraires, mais aussi comme constituant un langage alternatif, autorisé par le prestige des auteurs classiques, dans lequel des chrétiens purent exprimer des inquiétudes qui surgirent de leurs propres croyances à propos de la justice et de l'intelligibilité de la providence divine.

Le De Constantia de Juste Lipse nous offre un exemple convenable de cette convergence. Son intention principale dans cet oeuvre fut de fournir une défense soutenue et élégante de la justice divine dans tous ses aspects, mais par inadvertance il ya des brèches dans cette défense. À plusieurs endroits Lipse a recours à des analogies avec le théâtre, dont deux sont d'importance spéciale. La première se présente dans un passage où Lipse soutient la lenteur de la vengeance de Dieu, sous prétexte qu'elle tombe d'autant plus lourdement sur les méchants qu'elle s'est fait attendre:

Dites-moi, en regardant une tragédie, pouvez-vous supporter de voir Atrée ou Thyeste au cours du premier ou deuxième acte se promener en majesté sur la scène, les voir régner, menacer et dominer? Je crois que oui, quand vous saurez combien peu de temps durera leur prosperité, et quand vous pourrez les voir confondus au dernier acte. Alors, dans cette tragédie du monde pourquoi êtes-vous moins favorable envers Dieu qu'envers un pauvre poète? Ce méchant-ci prospère, ce tyran-là reste en vie. Laissez faire pendant quelque temps. Souvenez-vous que ce n'est encore que le premier acte, et considérez que des afflictions et des sanglots suivront leur apaisement. Cette scène sera bientôt couverte de sang... Car notre Poète est singulièrement adroit dans la pratique de son art, et n'enfreindra pas à la légère les lois de sa Tragédie....5

Une pareille moralisation de Sénèque se montre parfois dans les commentaires écrits à cette époque.6 Mais les idées de Lipse sur la justice divine et sur la tragédie furent en réalité plus complexes que ce passage ne le suggère. Un autre chapitre, où il nous propose de nous réconforter par une austère contemplation de l'universalité de la misère, sape le complaisance de son analogie antérieure:

Imaginez (si cela peut vous divertir) que vous soyez avec moi au sommet de cette haute colline de l'Olympe: regardez de là toutes les villes, les provinces, et les royaumes du monde, et pensez que vous y voyez autant d'enclos pleins de calamités humaines: ce ne sont que des théâtres et des lieux préparés dans le but que la Fortune y puisse jouer ses tragédies sanglantes.7

Il s'agit ici non pas de tragédies familiales, mais de guerres civiles, de saccagements et de massacres. À quelle fin morale puisse servir maintenant ces tragédies? et pourquoi le Poète s'appelle-t-il maintenant la Fortune, et non pas Dieu?

Evidemment, les lois dont “notre Poète” se sert pour régler sa tragédie sont moins intelligibles et moins rassurantes, même vues d'une perspective olympienne, que Juste Lipse eût voulu nous faire croire. Quand Lipse fait face aux catastrophes de son siècle, il glisse d'une explication providentielle des évènements au vocabulaire classique de la fatalité comme si ils étaient équivalents. Bien entendu, l'idée habituelle de la relation entre ces deux ordres d'explication, l'une divine et l'autre déterministe, resta hiérarchique. Ronsard, par exemple, distingua clairement entre les deux en adressant ces mots à l'Éternité:

Tu ordonnes tes loix au severe Destin, 
Qu'il n'ose oultrepasser, & que luymesme engrave
Fermes au front du Ciel....8

Le destin des cieux n'est que l'instrument de la providence, et le plus haut niveau de la causalité pourvoit l'inférieur d'une rassurante qualité d'intention. Mais les poètes tragiques purent douter qu'il soit toujours possible de séparer les deux. On pourrait appliquer à un dieu vengeur des mots dont Nabuchodonosor, “[l']Execrable instrument de la rancoeur celeste,” se sert dans la tragédie Les Juifves de Robert Garnier pour justifier sa propre cruauté: “Celuy ne regne pas qui son vouloir limite: / Aux Rois qui peuvent tout, toute chose est licite.”9

Mais quand it devient difficile de maintenir une distinction morale entre ce dieu vengeur et le Destin ou la Fortune, la tragédie de “notre Poète” risque de déchoir de la moralité des interprètes de Sénèque dans le chaos moral de ses pièces elles-mêmes.

 

II

Le vocabulaire classique de la fatalité ne fut pas redécouvert par la Renaissance: il n'avait jamais été oublié. Mais bien que le destin astrologique et la déesse Fortuna acquièrent souvent dans des textes médiévaux l'apparence d'une indépendance de toute explication chrétienne, ce n'est qu'avec l'essor du nouveau (ou vieux-nouveau) genre de la tragédie que la relation entre ces deux niveaux de la causalité, la providence et la fatalité, devint foncièrement problématique. Comme le suggère l'exemple d'une convergence des deux que je viens de discuter, l'accusation d'une imitation aveugle des modèles classiques ne doit pas être notre réaction immédiate lorsque nous rencontrons dans une tragédie du seizième siècle un tel mélange des vocabulaires chrétiens et classiques. Nous ne blâmons pas Racine de s'égarer de ses croyances chrétiennes lorsqu'il réfère la tragédie de Phèdre au destin et aux dieux païens plutôt qu'à la providence de Dieu:

... elle est engagée, par sa destinée et par la colère des dieux, dans une passion illégitime, ... et lorsqu'elle est forcée de la découvrir, elle en parle avec une confusion qui fait bien voir que son crime est plutôt une punition des dieux qu'un mouvement de sa volonté.10

Donc nous ne devrions pas non plus soupçonner Robert Garnier d'une confusion élémentaire quand il écrit d'une façon typique des tragiques du seizième siècle dans la dédicace de La Troade: “... Voyant nos ancestres Troyens avoir, par l'ire du grand Dieu, ou par l'inévitable malignité d'une secrette influence des astres, souffert jadis toutes extremes calamitez....”11 Garnier offre à ses lecteurs un choix de perspectives sur une structure redoublée de la causalité, mais, au même moment, il révèle ses propres incertitudes quant à la nature de la justice divine. Comme Racine dans la préface à Phèdre, où son vocabulaire classique rend inoffensive une inversion proléptique de la relation habituelle entre le crime et le châtiment sans dissimuler sa pertinence à des contentieux théologiques, Garnier semble toucher dans ces mots quelque chose qui est proche au coeur de sa vision tragique.

Il y a vingt-cinq ans, Lucien Goldmann affirma que les structures de la tragédie racinienne deviennent nettement plus intelligibles lorsqu'on les étudie dans le contexte de la théologie janséniste dans laquelle Racine fut élevé.12 Je voudrais suggérer que la théologie de Jean Calvin fournit un contexte également illuminant pour l'étude de plusieurs aspects de la tragédie du seizième siècle. Ce ne sont pas les allégeances sectaires des écrivains qui me concernent, mais plutôt le fait que le défi que Calvin lança quant aux positions courantes sur les doctrines telles que la prédestination et le libre arbitre produisit un certain décalage de tout l'étendue du discours théologique et littéraire. Même ceux qui s'opposaient le plus amèrement à ses idées et à leurs corollaires politiques durent, ce faisant, confronter des aspects de la Bible et de la tradition chrétienne qui sont sévères et même menaçants—et comme la troisième partie de cet essai le montrera, Calvin fut difficile à réfuter, en dépit de l'extrémité de ses conclusions.

Dans ce qui suivra ma brève analyse de la théologie de Calvin, des commentaires sur deux pièces, Abraham sacrifiant de Théodore de Bèze et Saül le furieux de Jean de la Taille, suggéreront à la fois que certains aspects du calvinisme fournirent un motif puissant pour la développement de la tragédie en France, et que l'influence étendue de Calvin rend intelligible cette tendance vers une convergeance du concept de la providence et des idées païennes sur la fatalité qui caractérise ce genre littéraire. Il n'est pas question de qualifier de calviniste ce genre, car même lorsqu'un tragique peut être identifié comme huguenot, la tragédie française de la Renaissance n'est calviniste que dans le même sens qu'une perle est fait de sable: dans les deux cas la forme mûre s'atteint par un accroissement à l'écart de l'irritant initial, qui reste cependant encastré au centre.

 

III

Dans n'importe quelle discussion de l'impact littéraire du calvinisme il faut distinguer entre sa structure logique, qui est déjà assez sévère, et son éthique autoritaire, qui en insistant sur l'acceptation sans question de cette structure la rend effectivement repoussante. Cette structure a des implications tragiques, mais un écrivain troublé par cette théologie ne pourrait guère écrire une tragédie sans s'être dégagé jusqu'à un certain point de l'éthique du calvinisme.

Le trait structural le plus saillant du calvinisme est sans doute la doctrine notoire de la double prédestination. Mais comme Jean-Daniel Benoît l'a remarqué, la double prédestination n'est pas, “comme on l'a parfois soutenu, le centre du calvinisme, mais plutôt la dernière conséquence de la foi en la souveraineté absolue de Dieu et en la grâce du Christ; elle constitue non pas un point de départ, mais un aboutissement.”13

En définissant sa propre position par contraste avec celle des calvinistes anglais de sa génération, Richard Hooker dans sa grande oeuvre Of the Laws of Ecclesiastical Polity cita l'adage de Théophraste: “Ceux qui cherchent une raison de toutes choses renversent totalement la raison.”14 Les doctrines de Calvin menacent de renverser non seulement la raison, mais aussi toute signification humaine. Pour Calvin, “la raison de toutes choses” est la volonté souveraine et illimitée de Dieu. Car Dieu est en vérité tout-puissant, donc sa volonté est souveraine dans le sens qu'elle gouverne toutes choses directement et sans intermédiaires; par conséquent, toute idée de la contingence ou de l'autonomie des êtres crées n'est qu'une invention impie. Selon Duns Scotus, ceux qui nient que tout être ne soit contingent “devraient être assujettis à des tortures jusqu'à ce qu'ils concèdent qu'il soit possible qu'ils ne fussent pas torturés.”15 Calvin, qui dénonça les scotistes comme des sophistes pestilentiels, indiqua assez clairement qu'à son avis ceux qui défendent obstinément la contingence et le libre arbitre sont eux-mêmes prédestinés à des supplices éternels, car une dérogation opiniâtre à la majesté souveraine de Dieu met en évidence la tendance naturelle des hommes déchus de sa grâce, des réprouvés, à s'opposer à leur Créateur.16

De son interprétation de S. Paul il s'ensuit qu'il y a une opposition totale entre la nature humaine, qui est déchue et délibérément perverse, et cette divine grâce qui ensevelit notre inimitié naturelle envers Dieu et nous amène à l'obéissance fidèle à la parole de Dieu. Dans les mots de Calvin, “il ne faut pas estimer que la chair soit bien mortifiée, sinon que tout ce que nous avons de nous soit annéanty et aboly.”17

On peut s'apercevoir par conséquent que le langage subit un certain surmenage. Car bien que tout acte et toute pensée, bon ou méchant, des hommes et des esprits soit totalement gouverné par la volonté de Dieu, les méchants sont néanmoins condamnés pour leur entêtement, leur mauvaise volonté. Ils ne sont pas libres de faire autrement qu'ils ne font, mais puisque leur volonté est engagée dans les péchés que Dieu veut qu'ils commettent, c'est eux qui sont coupables. Dans un passage mémorable, Calvin repousse toute suggestion que Dieu puisse être blâmé pour la méchanceté humaine dont sa volonté insondable est la cause:

Et d'où vient la puanteur en une charogne après qu'elle est ouverte et pourrie? Chacun void bien que cela vient des rais du Soleil, et toutesfois personne ne dira qu'ils puent pourtant. Ainsi, puisque la matière et faute du mal consiste en un mauvais homme, pourquoy Dieu en tirera-il quelque macule et ordure, s'il en use selon sa volonté? Pourtant chassons ceste petulance de chien, laquelle peut bien abbayer de loin la justice de Dieu, mais ne la peut attoucher.18

Cette insistance sur la souverainté divine rend problématique l'idée même de la volonté humaine. Mais le langage et la logique sont d'autant plus surmenés par la doctrine éminemment logique de la double prédestination. Si Dieu choisit dans l'éternité ceux qui recevront sa grâce justifiante, alors (étant donnée la notion calvinienne de la justice divine) ce n'est qu'une argutie que d'affirmer que les autres seront laissés à se débrouiller tant bien que mal. Soit qu'on est élu, soit qu'on est réprouvé; et les réprouvés sont rejetés non pas parce que Dieu, étant omniscient, préconnaît leur méchanceté, mais plutôt parce qu'ayant voulu leur méchanceté, il la préconnaît.19 Jusqu'ici ça va. Si Calvin avait respecté son propre avertissement que le mystère de la prédestination est un labyrinthe où celui qui “se fourre et ingère en trop grande confiance et hardiesse ... ne trouvera nulle issue,” et que

ce n'est pas raison que les choses que Dieu a voulu estre cachées ... soyent ainsi espluchées des hommes, et que la hautesse de sa sapience, laquelle il a voulu estre plustost adorée de nous qu'estre comprinse ... soit assuiettie au sens humain,20

il eût pu éviter les dures conséquences de sa version de cette doctrine. Mais poussé autant par son honnêteté farouche que par la polémique de ses adversaires, il suivit Luther en distinguant entre la promesse du Nouveau Testament de salut à tous ceux qui croient au Christ, et la volonté impénétrable de Dieu qui refuse à la plupart des hommes la grâce sans laquelle cette foi est impossible. L'affirmation brusque de cette position par Luther21 fut ouverte à l'accusation “qu'il y aura deux volontés contraires en [Dieu], entant qu'il décerneroit en son conseil estroit les choses qu'il a manifestement defendues par sa Loy....”22 Accusation que Calvin rebuta en citant maints textes bibliques, et en insistant que la volonté de Dieu,

laquelle est une et simple en soy, nous semble diverse, pource que, selon nostre rudesse et débilité de sens, nous ne comprenons pas comment il veut et ne veut point en diverses manières qu'une chose se face.23

Un argument de St Augustin lui fournit une justification lui fournit une justification élégante pour ses propres équivoques sur la volonté. Si Dieu veut qu'un homme meure, un méchant fils peut vouloir la même chose, tandis qu'un bon fils ne la veut pas. Mais bien que ce dernier veuille ce que Dieu ne veut pas, c'est sa piété filiale et non pas la méchanceté de son frère qui s'accorde avec la bonne volonté de Dieu et ce que les hommes peuvent vertueusement vouloir,24 et il n'est plus question de “songer qu'il y ait variété en Dieu, comme s'il changeoit conseil, ou qu'il se contredist.”25

La position de Calvin repose sur la souveraineté absolue et inscrutable de Dieu, qui “fait tout ce qu'il veut (Pseaum. 115, 3),” et sur “la tardivité de nostre sens,”26 qui nous empêche de sonder ses intentions. Les yeux de la foi résolvent la duplicité apparente de la volonté de Dieu en une image simple, mais incompréhensible. Cependant, Calvin considère par quels moyens la volonté divine s'avance vers ses fins secrètes, il indique que bien qu'elle ne soit pas en guerre avec elle-même, elle fait la guerre sans provocation contre la plupart de l'humanité:

Pourtant ceux qu'il a créez à damnation et mort éternelle, afin qu'ils soyent instruments de son ire et exemples de sa séverité, pour les faire venir à leur fin ou il les prive de la faculté d'ouyr sa parolle, ou par la prédication d'icelle il les aveugle et endurcist davantage.27

Le but de cette réprobation n'est point rassurant:

Parquoy ce que les réprouvez, ayans le royaume de Dieu ouvert, n'obtempèrent point, cela sera droitement reietté sur leur perversité et malice, moyennant qu'on adiouste conséquemment qu'il[s] ont esté asservis à cette perversité, d'autant que par le iugement équitable, mais incompréhensible de Dieu, ils ont esté suscitez pour illustrer sa gloire en leur damnation.28

La doctrine calvinienne de l'inscrutabilité de Dieu propose une solution au problème du mal qui est obverse dans sa structure en comparaison avec celle que proposèrent les hérétiques gnostiques. Le Dieu caché des gnostiques était bon, et le Dieu révélé, ce demiurge qui gouverne le monde, fut la source ou du moins le soutien du mal. Ici, par contraste, c'est l'aspect révélé de Dieu—la promesse universelle de salut à tous ceux qui auront de la foi—qui est plus évidemment bon, et c'est Dieu lui-même, demeurant caché et incompréhensible, qui par sa volonté inscrutable produit le mal. Mais puisque cette doctrine calvinienne insiste pour blâmer les instruments de la volonté de Dieu plutôt que cette volonté elle-même, la doctrine est moins une solution au problème du mal qu'une mystification, une négation que le langage et la logique, qui expriment des valeurs humaines, soient adéquats pour englober les sources de la misère humaine. Dieu étant juste et miséricordieux, si donc dans l'éternité il prédestine la plupart de l'humanité à des supplices sans fin, celà doit être accepté comme une expression de la justice et de la miséricorde.

Non seulement ces deux attributs divins, mais encore tous les autres, deviennent problématiques à cause de cette théologie. Car l'incompréhensibilité de Dieu signifie, selon Calvin, qu'il n'existe pas de lien précis entre la réalité divine et toute indication, même biblique, des attributs de Dieu. À cause de notre faiblesse, qui ne nous permet aucunement de comprendre sa nature exaltée, Dieu se représente dans l'Écriture Sainte non pas comme il est en lui-même, mais comme il nous apparaît: toute description biblique de Dieu est accommodée à nos capacités humaines.29

Sans trop exagérer, on pourrait décrire cette théorie de l'accommodation comme étant une espèce d'anticipation théologique de la parabole de Hans Christian Andersen sur les nouveaux vêtements de l'empereur. Les accommodations de l'Écriture Sainte sont vraisemblablement dirigées autant à Jean Calvin qu'au reste de l'humanité, mais il insiste constamment pour les dépasser: un peu comme l'enfant embarrassant dans le conte d'Andersen, il nous informe que ces accommodations, ces vêtements, ne sont pas réels. L'empereur n'étant pas dans ce cas lui-même perceptible, on pourrait dire qu'il risque par conséquent de disparaître. Car lorsque Dieu commence à perdre ses attributs anthropomorphiques, il peut facilement se confondre avec les idées plus abstraites du destin et de la fortune.

Cent cinquante ans plus tard, George Berkeley, l'évèque de Cloyne, écrit que

... celui qui vient à Dieu, ou entre dans l'église de Dieu, doit d'abord croire qu'il y a un Dieu qui est dans une certaine mesure intelligible, et non simplement croire qu'il y a un pouvoir quelconque; car si l'on n'a aucune idée, quelque inadéquate que ce soit, de ses qualités ou de ses attributs, ceci pourrait être le destin, le chaos, la nature plastique, ou quoi que ce soit, aussi bien que Dieu.30

Calvin lui-même dut se défendre contre l'accusation qu'il confondit la providence avec le destin:

Ceux qui veulent rendre ceste doctrine odieuse, calomnient que c'est la fantasie des Stoiques que toutes chose adviennent par nécessité.... toutefois nous ne recevons pas ce vocable dont usoyent les Stoiques, assavoir: Fatum.... Quant est de l'opinion, c'est faussement et malicieusement qu'on nous la met sus. Car nous ne songeons pas une nécessité laquelle soit contenue en nature par une conionction perpetuelle de toutes choses, comme faisoyent les Stoiques. Mais nous constituons Dieu maistre et modérateur de toutes choses, lequel nous disons dès le commencement avoir, selon sa sagesse, déterminé ce qu'il devoit faire, et maintenant exécute par sa puissance tout ce qu'il a délibéré. Dont nous concluons que non seulement le ciel et la terre et toutes créatures insensibles sont gouvernees par sa providence, mais aussi les conseils et vouloir des hommes, tellement qu'il les dresse au but qu'il a proposé. Quoy donc? dira quelcun, ne se fait-il rien par cas fortuit ou d'aventure? Ie respon que cela a esté tresbien dit de Basilius le grand, quand il a escrit que Fortune et Aventure sont mots de Payens, desquels la signification ne doit point entrer en un coeur fidèle.31

Pour Calvin autant que pour ses contemporains, le destin et la fortune furent des termes associés dont l'un évoqua très vite l'autre. Mais d'après le paragraphe suivant, même “un coeur fidèle” ne peut pas entièrement rejeter la signification du mot “fortune”:

Toutesfois pource que la tardivité de nostre esprit est bien loin de pouvoir monter iusques à la hautesse de la providence de Dieu, il nous faut pour la soulager mettre icy une distinction. Ie di doncques, combien que toutes choses soyent conduites par le conseil de Dieu, toutesfois qu'elles nous sont fortuites. Non pas que nous réputions fortune dominer sur les hommes pour tourner haut et bas toutes choses témérairement (car ceste resverie doit estre loin d'un coeur Chrestien); mais pource que des choses qui adviennent, l'ordre, la raison, la fin et nécessité est le plus souvent cachée au conseil de Dieu et ne peut estre comprinse par l'opinion humaine, les choses que nous savons certainement provenir de la volonté de Dieu nous sont quasi fortuites; car elles ne monstrent point autre apparence....32

Pareillement, écrit-il dans le même passage, le mot eventus (qui signifie soit le destin, soit la fortune) est souvent répété dans les Ecclesiastes parce que les hommes ne peuvent pas pénétrer tout de suite à la première cause de toutes choses, qui reste cachée.

Il y a un parallèle frappant entre ce passage et les remarques de Calvin ailleurs sur le sujet de l'accommodation. En effet, les attributs bibliques de Dieu et le langage de la fatalité ont le même statut: ils correspondent à ce que notre faiblesse peut saisir et comprendre, tandis que la réalité divine reste au-delà de ces apparences. Dans chaque cas, Calvin peut résoudre les contradictions apparentes de l'écriture et de l'expérience en faisant appel à l'incompréhensibilité de Dieu—c'est-à-dire à un niveau de la nécessité aussi capricieux que l'autre. Les buts de la providence et de la prédestination ne peuvent pas être saisis par le discours de l'éthique. Comment donc choisir entre les déterminations arbitraires et gratuites d'un Dieu inintelligible et le règne du destin et de la fortune? Comment même faire la distinction entre les deux? Calvin répliquerait: par la foi. Mais la foi n'est pas un critère externel, elle est plutôt le corrélatif subjectif de l'élection arbitraire de Dieu.

On pourrait maintenant commencer à apprécier l'attraction effrayante du genre de réflexion critique que je viens de poursuivre pour certains écrivains du seizième siècle—et l'urgence craintive avec laquelle d'autres (dans ce cas Juste Lipse) les prévenaient contre de telles spéculations:

Esprit errant! Que voulez-vous dire par cette curiosité soucieuse? Voulez-vous sentir ces feux celestes? Ils vous feront fondre comme de la cire. Voulez-vous monter dans la tour de la providence? Vous tomberez bientôt la tête en première. De même que des phalènes et d'autres petites mouches volèrent nuitamment autour d'une chandelle jusqu'à ce qu'elle les brûle, de même folâtre l'esprit de l'homme autour de cette secrète flamme céleste.33

 

IV

Abraham sacrifiant (1550), la seule pièce de Théodore de Bèze, nous amène près de la source de la théologie calviniste. Cette pièce, qui fut imprimée plus d'une année avant la première performance de la Cléopâtre captive de Jodelle, est aussi l'une des sources de la tragédie française, ayant plusieurs des traits formels de la tragédie régulière.34 On pourrait s'attendre à ce qu'une pièce didactique écrite par un théologien dogmatique ne serait pas irrésistible pour des lecteurs modernes, et il faut admettre qu'Abraham et Isaac sont tous les deux bons calvinistes. Mais en dépit de son contenu théologique explicite et de sa crudité formelle, la pièce atteint un point culminant qui est assez impressionant.

Le problème central d'Abraham, mis à part son amour paternel pour Isaac, est la duplicité apparente de Dieu: le veillard fidèle est tourmenté par la contradiction entre la promesse antérieure d'une postérité nombreuse et l'ordre de Dieu de sacrifier son fils unique.35 Mais on doit comprendre que c'est Satan, qui est sur la scène dans le costume d'un religieux pendant qu'Abraham réflechit à sa situation fâcheuse, qui incite ces doutes.

Comment? comment? se pourroit-il bien faire, 
Que Dieu dist l'un, et puis fist du contraire? 
Est-il trompeur?     (713-15, p. 95)

La question d'Abraham nous est familière, et il peut y répondre d'une façon calviniste:

Que dy-je? ô Dieu! puis que l'as ordonné, 
Je le feray: las, est-il raisonnable
Que moy qui suis pecheur tant miserable, 
Viene à juger les secrets jugemens
De tes parfaicts et tressaincts mandemens?     (720-24, p. 95)

Cependant la contradiction demeure. Peut-être, pense Abraham, que l'ordre d'immoler Isaac ne fut qu'un rève trompeur ou le mensonge d'un démon, doutes qu'il rejète avec une facilité qui devrait alarmer le lecteur post-cartésien.36 Mais il est enfoncé encore une fois dans le déséspoir par sa reconnaissance de ce qu'on pourrait appeler une forme du paradoxe du menteur crétois: “Mais le faisant, je ferois Dieu menteur” (743, p. 97). L'acte d'obéissance, la sacrifice d'Isaac, saperait l'autoritié de celui qui exige cette obéissance, et plus horrible encore, ce serait Abraham lui-même qui devrait jeter le discrédit sur le Dieu auquel il se fie. À quoi donc sert la foi?

Las est-ce en vain qu'en toy j'ay esperé? 
O vaine attente, ô vain espoir de l'homme!     (754-55, p. 97)

Se demandant, avec justesse, quelle sera la réaction de ses semblables à l'affaire, il invite Dieu à considérer ses propres intérêts:

Et toy, Seigneur, qui te vouldra prier? 
Qui se vouldra jamais en toy fier?     (783-84, p. 98)

Mais le ciel demeure muet, et Abraham, qui ne voit aucune solution à son dilemme, prie pour la mort. Satan remarque, “Le voilà bas, si Dieu ne le releve” (783-84, p. 99).

Bien qu'il ne soit pas un personnage parlant dans cette pièce, Dieu ne rate pas cette directive. Ayant reçu (on peut le supposer) une perfusion de grâce, Abraham devient entièrement plus allègre: puisque Dieu créa Isaac, raisonne-t-il, Dieu peut toujours le ressusciter (voir Héb. 11: 17-19). Rétabli dans l'orthodoxie calviniste, Abraham s'excuse de sa faiblesse humaine et dénonce la chair:

Arriere chair, arriere affections: 
Retirez vous humaines passions, 
Rien ne m'est bon, rien ne m'est raisonnable, 
Que ce qui est au Seigneur aggreable.     (815-18, pp. 100-01)

Bèze a trop de sens dramatique pour laisser Abraham réussir entièrement à se refaire comme le monstre de la foi que ces mots révèlent. Mais à ce stade la pièce n'est plus une tragédie, car les problèmes soulevés par l'ordre de sacrifier Isaac ont été résolus (formellement, au moins) par la foi d'Abraham. La scène finale, qui contient sa révélation à Isaac du vouloir de Dieu, la soumission fidèle d'Isaac et les efforts d'Abraham pour s'endurcir pour l'acte, représente le point culminant de la pièce, mais qui ne pourrait être tragique que si la foi du patriarche était illusoire.

Cependant, comme un bref examen du rôle de Satan dans la dernière scène le confirmera, la structure d'Abraham sacrifiant est proche de celle d'une tragédie. Durant toute la partie centrale de la pièce, Satan stimule, ou même suscite, les doutes rationnels d'Abraham à propos des contradictions de Dieu, mais une fois que ce dernier a renforcé la foi d'Abraham, il n'y a plus de questions à poser: Isaac et son père ne peuvent que souffrir, et Satan devient l'un des spectateurs. Ce qui s'ensuit est peut-être surprenant: Satan est déchiré par ce qu'il voit:

Ennemi suis de Dieu et de nature, 
Mais pour certain ceste chose est si dure, 
Qu'en regardant ceste unique amitié
Bien peu s'en fault que n'en aye pitié.     (841-44, pp. 102-03)

Lorsque Isaac se soumet doucement à la mort qui s'approche de lui, Satan trouve le spectacle intolérable, et s'enfuit de la scène. Le message est clair: la foi chasse le diable. La représentation d'un mystère religieux, la préfiguration du sacrifice rédempteur du Christ, peuvent maintenant se dérouler dans un atmosphère non troublé par les ironies de Satan.

Mais le lecteur moderne trouvera une autre signification dans ces évènements. Car tandis que Bèze, en mettant de tels mots dans la bouche du diable, semble indiquer que la pitié seule n'est pas la réponse correcte, l'émoi de la pitié dont Satan veut s'échapper est vraisemblablement la réaction des spectateurs; et puisque Bèze rend aussi pitoyables qu'il le peut las adieux du père et du fils, l'obéissance filiale s'Isaac, et les tâtonnements d'Abraham avec le couteau, on pourrait suggérer qu'il nous invite ainsi à suppléer nous-mêmes l'intérêt éthique qui disparaît de la pièce avec le départ de Satan. L'ennemi rationel de l'humanité ne peut pas supporter de voir la conclusion qu'il anticipe; le créateur contradictoire de l'homme laisse se prolonger l'agonie des fidèles.

Étant donnée la conclusion, la tendance du lecteur moderne à se ranger du côté de Satan fait valoir la doctrine calviniste que l'homme, sans la grâce, est l'ennemi de Dieu. Mais cette tendance peut aussi suggérer combien la résolution heureuse de la pièce est fragile. Bèze exige que nous reconnaissions, avec Abraham, que la foi est certaine et que Dieu est constant plutôt que contradictoire, quelles que soient les apparences. Mais ceci implique que nous devons également suivre le patriarche en voulant renoncer et à la raison et aux émotions humaines.37 C'est une résolution comique qui coûte cher. Les évènements de cette pièce sont peut-être assez puissants pour pouvoir contraindre l'acquiescement, mais une forme dramatique qui représente la rédemption de l'humanité seulement à condition qu'elle rejette ses qualités essentielles ne pourrait guère être une forme stable: on pourrait s'attendre soit à ce qu'elle dégénère en propagande, soit à ce qu'elle se développe vers l'accomplissement de l'impulsion tragique qu'elle réprime tout en l'exprimant.

L'Abraham sacrifiant de Bèze initia une tradition de la “tragédie” biblique et calviniste, propagandiste et polémique dans son intention, qui fut un élément significatif dans la diffusion rapide du calvinisme en France durant les années 1550, et qui s'épanouit pendant une quinzaine d'années à côté de la tradition classiciste et courtoise dont le premier exemple fut Jodelle. Mais les problèmes soulevés par la pièce de Bèze furent repris vers 1562 par Jean de la Taille, à qui ses deux tragédies donnent une place à côté de Robert Garnier et Antoine de Montchrestien comme l'un des meilleurs tragiques de la Renaissance française, et dont le petit traité “De l'Art de la Tragedie” est un document important. Considérant la pièce de Bèze et celles de ses successeurs “indignes du nom de Tragedie,” La Taille insista sur la différence entre une tragédie et un sermon: “Et si c'est un subject qui appartienne aux lettres divines, qu'il n'y ait point un tas de discours de Theologie, comme choses qui derogent au vray subject, et qui seroient mieux seantes à un presche....”38 Ses propres tragédies, Saül le furieux et La Famine, sa continuation, incluent des sujets bibliques dans des formes classiques; sa connaissance de Sénèque et d'Euripide est partout en évidence, jusqu'au point où ses plus récents rédacteurs ont pu écrire:

La Taille ne réinterprète pas la tragédie classique afin d'y intégrer des idées judaeo-chrétiennes, il se contente à démontrer que des histoires de l'Ancien Testament remplissent toutes les exigences de la tragédie. Saül le furieux et La Famine ne sont pas des tragédies religieuses, mais plutôt des tragédies classiques avec des intrigues bibliques.39

Mais peut'on si facilement distinguer entre les aspects religieux et classiques de ces pièces? Je ne voudrais pas obscurcir la très grande différence entre les tragédies de La Taille et, par exemple, les informes “Tragedies saintes” de son contemporain Louis Des-Masures. Les premières sont classiques et religieuses, alors que les autres, bien que religieuses (pour ne pas dire dogmatiques), ne sont des tragédies qu'à titre gracieux. Saül le furieux, comme sa page de titre nous en avertit, est “Faicte selon l'art et à la mode des vieux Autheurs Tragiques”; Des-Masures, en revanche, écrit

Pour servir à instruire, et non pour plaisanter, 
Ni de Dieu le mystere, et la saincte Parole
Destourner, par abus, à chose vaine et folle....

Refusant avec mépris d'offrir

Des mensonges forgez, et des termes nouveaux
Qui plaisent volontiers aux humides cerveaux
Des delicates gens,

il voulait plutôt “qu'on s'estudie / De rendre au naturel l'antique Tragedie.”40

Cependant La Taille tenait à écrire des pièces “au moule des vieux, comme d'un Sophocle, Euripide, et Seneque”; il voulait “adopt[er] at naturalis[er] la vraye Tragedie et Comedie ... qui toutefois auroient aussi bonne grace en nostre langue Françoise, qu'en la Grecque et Latine.”41 “Rendre au naturel” la tragédie, ou la “naturaliser”: le contraste est clair et net. Toutefois la fin religieuse de Saül le furieux est consciente et bien définie: La Taille voulait

montrer à l'oeil de tous un des plus merveilleux secrets de toute la Bible, un des plus estranges mysteres de ce grand Seigneur du monde, et une de ses plus terribles providences.42

Il s'occupe du problème de la justice divine, et cela d'une manière non dogmatique, mais proprement tragique.

 

V

Au moment de sa première apparence sur a scène, Saül n'est pas lui-même un modèle de la justice: aspergé du sang de ses propres sujets, il fulmine dans la folie:

Je veux monter au ciel, que mon char on attelle, 
Et comme les Geants entassants monts sur monts, 
Je feray trebuscher les Anges et Daemons, 
Et seray Roy des Cieux....    (245-47, p. 32)

Lorsqu'il revient à lui-même et reconnaît ce qu'il a fait, la cause de cette folie à la fois classique et biblique devient claire: il est opprimé moins par la menace militaire des Philistins (contre lesquels ses fils, courageux mais de maivaise augure, sont déjà sortis pour guerroyer), que par l'accablante réalisation qu'il est déchu de la grâce de Dieu et a encouru sa haine.

La demande angoissée de Saül pour la raison de cette haine reçoit une réponse sévère: son écuyer lui rappelle qu'ayant été enjoint par Dieu, par l'intermédiaire du prophète Samuël, de massacrer tous les Amalécites, Saül “par grand courtoisie” épargna leur “triste Roy Agag” (309-10, p. 33).43 Sa propre injustice folle est donc la punition de son désir désobéissant de substituer sa propre miséricorde humaine à la justice divine.

La réaction de Saül (dont le premier vers est marqué commen une sententia) expose le problème fondamental de la pièce:

“O que sa Providence est cachee aux humains! 
Pour estre donc humain j'esprouve sa cholere,
Et pour estre cruel il m'est donc debonnaire?    (312-14, p. 33)

La signification principale du mot “humain” dans le vers 313 est clairement indiquée par son contraste avec le mot “cruel” dans le vers suivant: c'est contre le paradoxe que sa propre miséricorde lui a coûté la miséricorde de Dieu que Saül proteste. Mais la signification d' “humain” est colorée initialement par le fait que ce mot suit le substantif générique “humains”” après avoir émis un lieu commun à propos de la providence, Saül semble se plaindre qu'il ressent la colère de Dieu simplement pour être un homme. Dans ce contexte de paradoxe et d'ambiguïté, la mention du mystère de la providence évoque la théologie calviniernne que je viens d'analyser: on peut se demander si Saül était même libre d'obéir à l'ordre du prophète.

Qu'il soit libre ou destiné, Saül refuse d'abandonner sa propre perspective pour celle de Dieu:

Hé Sire, Sire, lás! fault il donc qu'un vainqueur
Plustost que de pitié use fier de rigueur, 
Et que sans regarder qu'une telle fortune
Est aussi bien à luy qu'à ses vaincus commune, 
Egorge tant de gents? vault il pas mieux avoir
Esgard à quelque honneur, qu'à nostre grand pouvoir?    (315-20, p. 33)

Mais comme son écuyer avertit le roi, il est dangereux de parler “ainsi sans reverence / Du destin de là haut” (321-22). Il conseille à Saül: “Mais plustost sa justice humble recognoissez, / Sans accuser ainsi vostre celeste Maistre” (324-25, pp. 33-34).44

En termes de théologie, Saül a tort. Toutefois, au cinquième acte, la réaction de David à la nouvelle de sa mort met en évidence le fait que ses actions coupables étaient superposées à une nature foncièrement innocente: losque le soldat qui amène la nouvelle demande à David pourquoi il pleire celui qui voulait le tuer, il réplique:

               —C'estoit l'Esprit maling
Qui l'affligeoit, car il n'estoit enclin
De sa nature à telle chose faire,
Et ne fut oncques un Roy plus debonnaire.    (1229-32, p. 58)

Comme dans la pièce de Bèze, Dieu exige une répression des impulsions humaines, mais Saül, par contraste avec Abraham, désobéit. Abraham est dégagé de son dilemme par la grâce de Dieu, mais l'autre est pris au piège. Il semble reconnaître sa première désobéissance comme providentielle, et l'action de Dieu sur lui le rend plus inexcusable: la persécution de David par Saül, ainsi que de tous ceux qui lui ont donné asile, est citée contre lui, et sa révolte titanesque (“Je veux monter au ciel...”) n'est qu'un autre symptome de la même folie envoyée par Dieu. Il sait bien qu'il a perdu cette “benigne grace” par laquelle il fut installé comme roi, et il est conscient à la fois de la volonté de Dieu et de la futilité d'y résister:

Je sçay bien qu'aux mortels appeller il ne faut
De son Arrest fatal decidé de la haut....    (397, 399-400, p. 35)

Son écuyer cherche à l'encourager: “Ne vous desesperez, mas avecques fiance, / Et bon espoir prenez vos maux en patience...” (405-06, p. 36). Mais c'est peine perdue.

Saül atteint sa pleine stature tragique à travers sa détermination de savoir, et si possible de détourner, ce qui est en réserve pour lui. Il s'agit encore là d'une révolte et non pas d'obéissance, et encore une fois Saül accroit sa culpabilité. Mais cette détermination annonce un virage perceptible dans le vocabulaire de la pièce, d'une emphase sur le vouloir de Dieu (ce qui reste toutefois l'explication principale des évènements) vers un usage plus fréquent et presque systématique du langage du destin et de la fortune.

Saül. “Le prudent peut fuir sa fortune maligne. 
L'Escuyer. “L'homme ne peut fuir ce que le ciel destine.
Saül. “Le malheur nuit plus fort venant à despourveu. 
L'Escuyer. “Mais il cuit davantage apres qu'on l'a preveu. 
Saül. Bref se sçauray mon sort par l'art de Negromance. 
L'Escuyer. —Mais DIEU l'a defendu....    (457-62, p. 37)

Après ce moment, la reconnaissance que le destin et la fortune ne sont que des expression d'un niveau plus haut de la causalité devient de plue en plue problématique.

J'ai commenté ci-dessus que la résistance de Calvin à n'importe quel mélange du concept de la providence et du langage de la fatalité fut accompagnée par sa reconnaissance que ce langage païen constitue une expression valide des limitations de notre perspective naturelle sur le monde. Cependant, cette reconnaissance ne l'empêcha pas de suggérer (comme c'est le cas dans cette pièce) que l'usage de ce langage est motivé par l'opposition, également naturelle, de l'homme à Dieu:

... combien que la faveur de Dieu et sa bonté, ou la rigueur des ses iugemens, reluisent la plus souvent en tout le cours de sa providence ... néantmoins quelque fois les causes de ce qui advient sont cachées, tellement que ceste pensée nous entre au cerveau, que les affaires humains tournent et virent à la volée, comme sur une roue, ou nostre chair nous solicite à gronder contre Dieu, comme si Dieu de iouait des hommes en les démenant çà et là comme des pelottes.45

Mais la désapprobation de Calvin de réduisit pas, et peut-être même augmenta-t-elle, le cours des mots de Plaute que Juste Lipse citerait et que Montaigne répéterait:

Les dieux s'ébattent de nous à la pelotte, et nous agitent à toutes mains: Enimvero Dii nos homines quasi pilas habent.46

Bien que La Taille ne se serve pas de cette image, Saül le furieux fait valoir la même tendance. Un fusionnement graduel de la providence avec le destin et la fortune au quatrième acte culmine au coinquième dans le cri: “ô dure cruauté / Des cieux malings!” (1479-80, p. 65).

Dans le troisième acte, qui est assez impressionant, Saül découvre en vérité les détails de son sort par l'art de la nécromancie. L'esprit de Samuël offre une prophétie effrayante: Saül et ses fils mourront sdans la bataille, et leurs descendants seront exterminés—“Et le tout pourautant qu'à la divine voix / Obeï tu n'as point ainsi que tu devois...” (773-74, p. 46). Samuël disparaît, Saül s'écroule. Encore une fois, la pitié humaine se montre par contraste avec l'inflexibilité divine: la Phitonisse insiste, contre la volonté de Saül, qu'il doit manger, et vivre, pour “déplaire au sort” (834, p. 47).

Acceuilli au quatrième acte par la nouvelle de la mort de ses fils, Saül est détourné de se suicider par son écuyer:

Il ne fault point qu'ainsi vostre vertu succombe, 
Ny que du premier choc de Fortune elle tombe: 
Et si vous n'estes point des ennemis vainqueur, 
La fortune vainquez d'un magnanime coeur.    (1019-22, p. 52)

Saül vient d'admettre la vérité de la prophétie de Samuël, donc ces mots, venant d'un homme qui se tenait à côté de Saül durant toute la scène de l'invocation de Samuël, ont un ton nettement païen. S'ensuivent des persuasions plus orthodoxes:

DIEU sans cesse ne donne aux justes leur souhait, 
Ains par fois les chastie, et purtant ne les hait.    (1045-46, p. 53)

Dieu est en train d'éprouver Saül, comme il éprouva Abraham et Joseph, et, comme ceux-ci, Saül devrait de tenir ferme comme un rocher contre la tempête:

Ainsi ne vous laissez abbattre à la Fortune, 
Esperez que tousjours viendra l'heure opportune, 
Et maistrisant constant l'inconstance de la sort, 
Monstrez que vrayement vous estes d'un coeur fort, 
DIEU (peut-estre) voiant vostre constance ferme, 
Bening vous fera veoir de vos travaux le terme.    (1055-60, p. 53)

Mais il est déjà très évident que cette distinction conventionelle entre deux niveaux de la causalitié, l'un abstrait et malin, et l'autre personnel et bienveillant, ne s'applique pas à la situation de Saül; Dieu ne veut pas l'éprouver, mais plutôt le détruire.

Par conséquent, ces deux niveaux de la causalité commencent à s'entremêler. J'ai mentionné ci-dessus la théorie de Calvin à propos de l'accommodation, selon laquelle l'Écriture Sainte nous offre dis similitudes corporelles et psychologiques afin que nous ayions quelque idée de Dieu, qui cependant reste incompréhensible. On peut constater dans Saül le furieux un processus inverse: les analogies de l'Écriture sont en train de se désagréger. Le Dieu qui détruit Saül s'est si complètement écarté de toute conception humaine de la justice et de la miséricorde que tout langage qui implique la personnalité commence à lui devenir inapplicable. Dans cette pièce le langage du destin et de la fortune devient une inversion empirique de la théorie de l'accommodation.

Naturellement, puisque La Taille fut un chrétien qui s'adressait à des chrétiens, il y a une certaine résistance dans la pièce à ce processus de l'inversion. Le choeur des Lévites dont les commentaires et les lamentations séparent les cinq actes comprend le manque de foi de Saül et son recours à la magie comme étant les raisons pour la malédiction de Dieu et l'imminent massacre des juifs par les philistins. Selon les Lévites, Dieu veut éprouver son peuple élu:

S'il est ainsi ne murmurons
Mais patiemment endurons
Tout cela qui vient de sa main, 
Soit rigoreux ou soit humain.    (897-900, p. 49)

À vrai dire, ce qui s'ensuit est rigoreux, et c'est durant le quatrième acte, qui est introduit par ce chant choral, que la tendance vers un mélange du vouloir de Dieu et du langage abstrait de la fatalité apparaît le plus clairement. Mais le choeur, qui de la perspective des compagnons de misère est temoin de la chute de Saül, établit néanmoins une certaine tension entre une vue “inaccommodée” de Dieu et un point de vue selon lequel son injustice inhumaine conserve encore une qualité personnelle.

Dans le troisième acte, Saül se plaint de l'inconstance de Dieu dans des mots évocateurs des lamentations de casibus contre l'inconstance de la fortune:

Tu me fis sacrer Roy, tu me haulsas expres
A fin de m'enfondrer en mil malheurs apres! 
Veux-tu donc (inconstant) piteusement destruire
Le premier Roy qu'au monde il pleut à toy d'eslire!    (809-12, p. 47)

Cette allusion devient explicite dans la réaction du second écuyer à la mort de Saül:

O Deconfort! ô quel Prince aujourd'huy
Tu as perdu Israël plein d'ennuy! 
Ha sort leger, flateur, trasitre et muable, 
Tu monstres bien que ta Rouë est variable! 
Puis que celuy que tu as tant haussé, 
Est tellement par toy-mesmes abbaissé....    (1303-08, p. 60)

Selon les indications scéniques, celui qui prononce ces mots assistait à la prophétie de Samuël au troisième acte—nonobstant il se réfère au sort ou à la fortune comme ayant produit la mort de son roi. On ne devrait pas trop insister sur un tel détail, car ses vers sont purement conventionnels—mais d'autre part il ne faut pas oubler que la juxtaposition des conventions n'est pas elle-même sans signification.

Les derniers mots échangés par Saül et son écuyer contiennent encore une mention de la fortune:

Le I. Escuyer. Ha pourquoy voulez vous l'esperance estranger? 
Saül. Pour ce qu'elle ne peut dans mon Ame loger. 
Le I. Escuyer. Vous aurez la Fortune une autrefois meilleure. 
Saül. —O malheureux celuy qui sur elle s'asseure.    (1065-68, p. 53)

Selon les apparences, Saül rejette toute confiance en la fortune. Mais je suggérerais que ces mots constituent au même moment le reniement final de son foi en Dieu.

Comme je l'ai mentionné ci-dessus, ce refrain est repris par David, le “meilleur Esleu” (758, p. 45) auquel Dieu vient de donner le royaume de Saül. Le David de la trilogie de Louis Des-Masures chante les louanges de Dieu, en disant que “C'est luy qui met son honneur en ma bouche.”47 Mais le David de La Taille, en déplorant la mort de Jonathan et de Saül, s'exclame: “ô dure cruauté / Des cieux malings!” (1479-80). Qui a mis ces mots dans sa bouche? Poser cette question, c'est devenir conscient du fait que le mélange du vouloir de Dieu et du langage de la fatalité dans cette pièce représente une espèce de retraite du Dieu de Calvin de la psyché humaine. Il serait fourvoyant d'attribuer le libre arbitre aux personnages de cette pièce chargée de destin, car une necessité capricieuse, qui est encore Dieu, maintient toujours son autorité. Néanmoins, la reversion partielle de la déité anthropomorphique des “accommodations” bibliques vers une puissance aussi impersonnelle qu'impénétrable crée un certain espace dans lequel une forme limitée et nécessairement tragique de l'autonomie humaine peut s'épanouir. Saül, le héros tragique, est cruellement pris au piège, mais comme David, son successeur, il porte ses propres paroles dans sa bouche.

Ici, peut-être, avons-nous découvert la raison la plus profonde de toutes celles qui incitaient les écrivains du seizième siècle à utiliser le langage classique de la fatalité. Ce vocabulaire portait le prestige de la culture antique et permettait aux écrivains d'exprimer les tensions et les craintes occasionnées par une forme intransigeante et dure du christianisme. En plus, il permettait aux hommes de se voir avec une fierté humaniste comme étant capables de répondre à la situation la plus horrible qu'ils pouvaient s'imaginer, celle d'être abandonnés autant par Dieu que par leurs semblables, avec une dignité qui serait leur propre possession. 

 

 

 

NOTES

1  Je tiens à remercier Professor Alison Fairlie de Cambridge University, et mes collègues René Leblanc et Alain Chabot de l'Université Sainte-Anne, pour leurs corrections et commentaires.

2  Voir Daniel Martin, Montaigne et la fortune: Essai sur le hasard et le langage (Paris: Honoré Champion, 1977).

3  Richard Griffiths, The Dramatic Technique of Antoine de Montchrestien: Rhetoric and Style in French Renaissance Tragedy (Oxford: Clarendon Press, 1970), pp. 28-29: “[the classical conception of fate,] clashing as it does with the Christian idea of a loving God, must have worried these dramatists...; but no attempt was ever made to modify it, for to do so would be to condemn the the classics, and the classics could do no wrong.... In imitating Seneca (and to a certain extent the Greeks), Renaissance dramatists took over this conception of fate. In doing so they were divorcing their tragedies from real life, for whereas the ancient audiences believed in, or at least pretended to believe in, the forces which held sway in their tragedies, these forces stood in complete contrast to the Christian beliefs of the sixteenth century. Whatever conception of grace a Christian might have, he could hardly stomach the savage, unreasoning rule of ananke. Many tragedians must have copied the originals unthinkingly, ignoring any contradictions between their own thought and that of their models.”

4  P. LeBlanc, ed., Les écrits théoriques et critiques français des années 1540-1561 sur la tragédie (Paris: Nizet, 1972), p. 56.

5  Faute de mieux, je cite une traduction anglaise de l'oeuvre de Lipse: Two Bookes of Constancie. Written in Latine by Iustus Lipsius, Englished by Sir John Stradling, ed. Rudolf Kirk (New Brunswick, New Jersey: Rutgers University Press, 1939), Book II, ch. xiii. p. 163: “Tell me, in beholding a tragedy, will it stomacke thee to see Atreus or Thiestes in the firste or second acte walking in state and majestye uppon the scene? To see them raigne, threate and commaund? I thinke not, knowing their prosperitie to be of small continuance; And when thou shalte see them shamefullie come to confusion in the last Acte. Now then in this Tragedy of the World, why art not thou so favourable towards God, as to a poore Poet? This wicked man prospereth. That Tyrant liveth. Let be awhiles. Remember it is but the first Act, and consider aforehande in thy mind, that sobs and sorrowes will ensue uppon their sollace. This Scene will anon swimme in bloud.... For that Poet of ours is singular cunning in his art, and will not lightly transgresse the lawes of his Tragedie....”

6  Voir, par exemple, les vers avec lesquels Thomas Nuce préface la traduction par Studley de l'Agamemnon de Sénèque:

This deed was done by Talion law, 
    here blood did blood require, 
And now Thyest hath that revenge
    that he did long desire. 
Whereby thou chiefly mayst be taught
    the providence of God
That so long after Atreus' fact
    Thyest's revenge abode.

(Cité de G. K. Hunter, “Seneca and English Tragedy,” dans son Dramatic Identities and Cultural Tradition: Studies in Shakespeare and his Contemporaries [Liverpool: Liverpool University Press, 1978], p. 185 n.)

7  Two Bookes of Constancie, Book II, ch. xxvi, p. 199: “Suppose (if it please thee) that thou art with me in the top of that high hill Olimpus; behold from thence al townes, provinces, and kingdomes of the world, and think that thou seest even so many inclosures ful of humain calamities: these are but only Theaters and places for the purpose prepared: wherein Fortune playeth her bloudy tragedies.”

8  Pierre Ronsard, “Hymne de l'Éternité,” 32-34, dans French Renaissance Scientific Poetry, ed. Dudley Wilson (London: Athlone Press, 1974), p. 130.

9  Les Juifves, 1840, 923-24; dans Robert Garnier, Les Juifves, Bradamante, Poésies diverses, ed. Raymond Lebègue (Paris:Société les Belles Lettres, 1949), pp. 95, 55.

10  “Préface” à Phèdre, dans Théâtre complet de J. Racine, ed. Félix Lemaistre (Paris: Garner, s.d.), p. 489.

11  Cité dans Griffiths, Dramatic Technique, p. 29.

12  Lucien Goldmann, Le Dieu caché: Étude sur la vision tragique dans les Pensées de Pascal et dans le théâtre de Racine (Paris: Gallimard, 1959).

13  Jean Calvin, Institution de la religion chrestienne, ed. Jean-Daniel Benoît (5 vols., Paris: Vrin, 1957-63), vol. 4, p. 406 n. 1.

14  Richard Hooker, Of the Laws of Ecclesiastical Polity, ed. Christopher Morris (2 vols., 1907, rpt. London: Dent, 1954), vol. 1, p. 177: “They that seek a reason of all things do utterly overthrow Reason.”

15  John Duns Scotus, The Oxford Commentary on the Four Books of the Sentences, I. xxxix, dans Philosophy in the Middle Ages, ed. Arthur Hyman et James J. Walsh (Indianapolis: Hackett, 1974), p. 592: “... those who deny that any being is contingent should be subjected to torments until they concede that it is possible for them not to be tortured.”

16  Voir Calvin, Institution, III. xv. 6, I. xvii. 1-2, II. v. 1-5, III. xxiii. 1-3.

17  Institution, ed. Benoît, III. iii. 8, vol. 3, p. 72.

18  Ibid., I. xvii. 5, vol. 1, pp. 242-43.

19  Voir Institution, III. xxiii. 7.

20  Institution, III. xxi. 1, vol. 3, pp. 406-07.

21  Voir, par exemple, De servo arbitrio, dans D. Martin Luthers Werke, ed. P. Pietsch et al. (Weimar: Hermann Böhlaus, 1883-1948), vol. 18, p. 685: “Illudit autem sese Diatribe [i.e. De libero arbitrio d'Erasme] ignorantia sua, dum nihil distinguit inter Deum praedicatum et absconditum, hoc est, inter verbum Dei et Deum ipsum. Multa facit Deus, quae verbo suo non ostendit nobis. Multa quoque vult, quae verbo suo non ostendit sese velle. Sic non vult mortem peccatoris, verbo scilicit, Vult autem illam voluntate illa imperscrutabili.”

22  Institution, I. xviii. 3, vol. 1, p. 258.

23  Institution, I. xviii. 3, vol. 1, p. 259.

24  Institution, I. xviii. 3.

25  Ibid., vol. 1, p. 259.

26  Ibid.

27  Institution, III. xxiv. 12, vol. 3, pp. 463-64.

28  Institution, III. xxiv. 14, vol. 3, p. 466.

29  Institution, I. xvii. 13.

30  George Berkeley, Alciphron or the Minute Philosopher, Fourth Dialogue, 18, dans The Works of George Berkeley Bishop of Cloyne, ed. A. A. Luce et T. E. Jessop (9 vols., London: Nelson, 1948-57), vol. 3, pp. 164-65: “... for he who comes to God, or enters himself in the church of God, must first believe that there is a God in some intelligible sense; and not only that there is something in general, without any proper notion, though never so inadequate, of any of its qualities or attributes: for this may be fate, or chaos, or plastic nature, or anything else as well as God.”

31  Institution, I. xvi. 8, vol. 1, pp. 232-33.

32  Institution, I. xvi. 9, vol. 1, p. 234.

33  Two Bookes of Constancie, Book II, ch. xii, p. 159.

34  Voir Théodore de Bèze, Abraham sacrifiant, ed. Keith Cameron, Kathleen M. Hall et Francis Higman (Genève: Droz, 1967), pp. 20-26. Mes citations de cette pièce sont identifiées selon le vers et la page.

35  Il n'y a aucune mention d'Ishmael, fils d'Abraham et de Hagar.

36  Voir René Descartes, Méditations, I, II, dans ses Oeuvres philosophiques, ed. Ferdinand Alquié (3 vols., Paris: Garnier, 1963-73), vol. 2, pp. 406, 412, 415.

37  Voir Abraham sacrifiant, 815-18 (cités au-dessus), et Calvin, Institution, III. iii. 8: “il ne faut pas estimer que la chair soit bien mortifiée, sinon que tout ce que nous avons de nous soit annéanty et aboly.”

38  Jean de la Taille, Dramatic Works, ed. Katheen M. Hall et C. N. Smith (London: Athlone Press, 1972), “De l'Art de la Tragedie,” p. 20.

39  Dramatic Works, “Introduction,” p. 6: “La Taille does not re-interpret classical tragedy in order to integrate Judaeo-Christian concepts; he is content to demonstrate that Old Testament stories fulfil all the demands of tragedy. Saül le furieux and La Famine are not religious tragedies, but classical ones with Scriptural plots.”

40  Louis Des-Masures, Tragédies saintes, ed. Charles Comte (Paris: Hachette, 1907), “Au seigneur Philippe le Brun,” 120-22, 171-74, pp. 7-8.

41  La Taille, “De l'Art de la Tragedie,” Dramatic Works, p. 21.

42  Ibid., p. 19. Dans le paragraphe suivant, La Taille propose une définition générale de la tragédie dans laquelle la Fortune semble remplacer la providence: “... Son vray subject ne traicte que des piteuses ruines des grands Seigneurs, que des inconstances de Fortune, que bannissements, guerres, pestes, famines, captivitez, execrables cruautez des Tyrans....” Mes citations de Saül le furieux sont identifiées selon le vers et la page.

43  Au troisième acte, l'esprit de Samuël annonce à Saül la destruction préscrite de son “genre total” dans des termes pareils (773-76, p. 46); cette partie de l'histoire est traitée dans La Famine.

44  Comme “fier” dans le vers 316, “humble” dans le vers 324 a un sens adverbial. C'est la reconnaissance humaine qui doit être humble, et non pas la justice de Dieu.

45  Calvin, Institution, ed Benoît, I. xvii. 1, vol. 1, p. 236.

46  Michel de Montaigne, Essais, ed. Pierre Michel (3 vols., Paris: Gallimard, 1965), III. ix, vol. 3, p. 228. Les mots de Plaute sont du prologue des Captifs, vers 22; selon Pierre Michel, Montaigne les aurait lu chez Juste Lipse, Saturnalium sermonem libri, livre 1, chap. 1.

47  Des-Masures, David combattant, vers 93, dans Tragédie saintes, ed. Comte, p. 17.